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Après avoir détaillé la réception du castel Béranger par ses critiques à la fin du XIXe siècle, revenons à l'écoute de l'émission Métropolitains diffusée sur France Culture le 19 novembre 2003. Dans cette deuxième partie, nous évoquerons précisément les ensembles conçus par Guimard pour le métropolitain.
Dans son livre Guimard perdu : histoire d’une méprise, Jean-Pierre Lyonnet documente, depuis les plans architecturaux qu’il redessine jusqu’aux vestiges des édifices détruits, les traces du désastre Guimard. À 23’55’’ : François Chaslin, producteur de l’émission : En peu d’années, [Guimard] mène à leur terme 53 projets, 3 étaient provisoires, donc c’est normal qu’ils aient été détruits, deux [ont été] victimes de la guerre - dont la villa La Surprise à Cabourg, et 21 détruites. Cela fait 26 sur 53, presque la moitié. (…) Le premier [projet] est détruit presque instantanément : La salle Humbert de Romans, au bout de 4, 5 ans. (…) Et puis, il y a ces villas extraordinaires, le Castel Henriette par exemple, qui perd son campanile dès la première année, qui était mal construit. – Il devait être creux à mon avis, lui répond un invité. Le Castel Henriette est détruit en 1969, au moment où le nom Guimard commence d’entrer dans les livres d’histoire et en dépit de l’appel lancé auprès du ministre de la culture de l’époque André Malraux, qui dira je pense : « Guimard ? Connais pas » alors qu’il venait de sauver la Villa Savoye 3 ou 4 ans avant [de Le Corbusier, à Poissy, 78300] et qu’on venait aussi de classer pour la première fois un immeuble de Guimard, [son hôtel particulier] en 1964 (122, avenue Mozart, Paris 16e).
Après avoir détaillé la réception du castel Béranger par ses critiques à la fin du XIXe siècle, revenons à l'écoute de l'émission Métropolitains diffusée sur France Culture le 19 novembre 2003. Dans cette deuxième partie, nous évoquerons précisément les ensembles conçus par Guimard pour le métropolitain.
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Dans son livre Guimard perdu : histoire d’une méprise, Jean-Pierre Lyonnet documente, depuis les plans architecturaux qu’il redessine jusqu’aux vestiges des édifices détruits, les traces du désastre Guimard. À 23’55’’ : François Chaslin, producteur de l’émission : En peu d’années, [Guimard] mène à leur terme 53 projets, 3 étaient provisoires, donc c’est normal qu’ils aient été détruits, deux [ont été] victimes de la guerre - dont la villa La Surprise à Cabourg, et 21 détruites. Cela fait 26 sur 53, presque la moitié. (…) Le premier [projet] est détruit presque instantanément : La salle Humbert de Romans, au bout de 4, 5 ans. (…) Et puis, il y a ces villas extraordinaires, le Castel Henriette par exemple, qui perd son campanile dès la première année, qui était mal construit. – Il devait être creux à mon avis, lui répond un invité. Le Castel Henriette est détruit en 1969, au moment où le nom Guimard commence d’entrer dans les livres d’histoire et en dépit de l’appel lancé auprès du ministre de la culture de l’époque André Malraux, qui dira je pense : « Guimard ? Connais pas » alors qu’il venait de sauver la Villa Savoye 3 ou 4 ans avant [de Le Corbusier, à Poissy, 78300] et qu’on venait aussi de classer pour la première fois un immeuble de Guimard, [son hôtel particulier] en 1964 (122, avenue Mozart, Paris 16e).
La conférence donnée par Alain Blondel, acteur décisif de la
préservation de l’œuvre dessinée notamment, en ouverture de la journée d’études
organisée le 13 octobre 2017 au Musée des Arts Décoratifs, complète idéalement
ces commentaires radiophoniques. Agé de 78 ans, il retrace la genèse de son
indéfectible passion pour Guimard, depuis la bibliothèque de l’atelier des
Beaux-arts où étudiant en architecture il découvrit l’album du Castel Béranger,
jusqu’à ses visites des constructions parisiennes pour certaines en voie de
désossement. A cette époque (1960) dit-il, l’histoire de l’art, le marché de
l’art ignoraient totalement cette période. C’était comme un trou noir dans
l’histoire récente. Les vestiges qu’on découvrait au hasard de Guimard ou
d’autres étaient souvent abandonnés et destinés à la casse (entre autres la grille survivante de l’hôtel Nozal
détruit en 1957 ou l’entrée du métro Bastille, démoli en 1962, dont la R.A.T.P
n’a rien conservé). Dédaignant les fantaisies du modern style comme on disait en ce
temps-là, « l’époque » mise alors
sur une nouvelle architecture sérielle et fonctionnelle au bénéfice des
promoteurs immobiliers.
Dans l’émission Métropolitains, Roger-Henri Guerrand attribue la démonétisation de l’art nouveau au dégoût d’ordre sexuel qu’il peut provoquer. Mais Frédéric Descouturelle
avance pour sa part tout un tas de facteurs. Les conditions
économiques [après la première guerre
mondiale] vont évoluer très rapidement, ce qui fait qu’on va avoir
tout intérêt à simplifier les formules décoratives. (…) Il s’en produit encore un tout petit peu à Nancy, avec
grandes difficultés. Mais parallèlement,
(…) autant cette mode a été
flambante, autant elle va s’éteindre rapidement. On a les premiers signes d’arrêt de commandes de la part des
snobs à partir de 1902. 1904 : ça ne fonctionne plus à Paris, évidemment
plus [non plus] à Bruxelles, et il ne reste plus que Nancy pour faire
de l’art nouveau jusqu’à la guerre de 1914. Roger-Henri
Guerrand renchérit en désignant le rejet intellectuel de l’art nouveau compris comme un
maquillage de l’architecture, une
espèce d’anarchie où le végétal envahit tout.
(29’14’’)
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Dans la deuxième partie de l’émission, François Chaslin
concentre son attention sur les livraisons de Guimard pour le métro parisien. À
son micro, l’ingénieur André Mignard raconte sa mission confiée par la R.A.T.P.
(sur l’initiative de son président Jean-Paul Bailly) pour investiguer les
ressources de la compagnie, à l’occasion du centenaire de la naissance du métro
en l’an 2000. 42’10’’ : On a plongé dans les archives dites techniques
et on s’est dit : on va regarder les 1500 entrées de métro qui ont existé
(parce que certaines ont disparu aujourd’hui) et [dont] on a les plans de construction, - [non]
pas de l’ouvrage Guimard [mais] du
gros œuvre - et on va faire une enquête sur chaque [pour savoir] ce qui a pu être installé. Là, j’avais certains
éléments pour pouvoir trouver ce qu’il y avait. Et après on a cherché la photo
- en particulier, on a acheté des cartes postales. Et puis on a fait appel à
toutes les personnes qui s’intéressaient à l’art nouveau et qui nous ont ouvert leurs archives. (…) Et on a pu, quasiment sur la totalité des ouvrages
Guimard [c’est-à-dire] tous les
modèles conçus par Guimard [confondus], compter
167 [installations] pour le
métro.
À la traîne du métro londonien ouvert en 1865, Paris imagine
en hâte son réseau de chemin de fer pour l’exposition universelle de 1900,
décidé par le conseil municipal en 1896 et entrepris dans la foulée en 1898 (la
première ligne Vincennes-Maillot est mise en service le 19 juillet 1900 à 13h).
La ville, sous tutelle de la préfecture, lance à ce titre un concours
d’édicules en août 1899 pour habiller les stations auquel répondent 21
concurrents.
Frédéric Descouturelle : Guimard ne participe pas et
la C.M.P. [Compagnie du chemin de fer
Métropolitain de Paris] annonce très clairement qu’elle picorera les
idées intéressantes dans les projets qui seront sélectionnés. (…) Mais aucun des dossiers présentés ne retient
l’attention de la préfecture. Alors, on s’affole un peu (…) et on va rechercher [l’architecte Jean Camille] Formigé (…). Nouveau refus. Là on a quasiment dit
que c’était [Adrien] Bénard, le
président de la C.M.P. qui va faire choisir Guimard. En fait, il semble bien
que non et que c’est un complot plus ou moins
ourdi par les membres influents du conseil municipal et de la
préfecture de France en particulier, qui obligent la C.M.P. et le conseil
municipal à choisir Guimard en bloquant tout autre choix possible. On en a
quasiment la preuve. André
Mignard abonde : On a bien un document interne à la C.M.P. qui
date de 1902 [où] le directeur de
l’époque dit à son successeur : on m’a informé que si on présentait des
projets d’un dénommé Hector Guimard, ces projets seraient acceptés. Frédéric Descouturelle entérine : On
soupçonne que Guimard avait préparé des plans [donc
que son élection était pressentie avant la décision officielle du conseil
municipal], parce qu’en l’espace de 15 jours, il est censé être
contacté et présenter des plans de deux types d’édicules et un type d’entourage
découvert (49’37’’). Une force de travail
sans doute moins spectaculaire qu’il n’y paraît en somme.
Que subsiste t-il des toutes premières réalisations de
Guimard pour le métro parisien ? Une note écrite par André Mignard et mise
en ligne par le site Fontes d’art.org nous l’apprend :
Pour les entrées du métro du premier tronçon ouvert en
1900, Guimard a conçu et supervisé :
- 3 gares qui s'apparentent à de vastes pavillons, aussi
imposants qu'exubérants, dont les toitures superposées les feront surnommer par
les Parisiens "pagode" ou "pavillon chinois". (Les deux pavillons de la place de l'Étoile seront
démontés en 1926, le dernier, place de la Bastille subsistera jusqu'en 1962),
![]() |
À gauche : pavillons de la place de l'Étoile cerclés en rouge par André Mignard, de part et d'autre de l'avenue de Wagram (collection RATP, source ars-metallica.fr, historique 4) et carte postale dénichée sur Internet (le double toit est nettement visible). |
- 9 édicules fermés, à fond arrondi (dont il ne reste
qu’un),
![]() |
Tel que légendé par Guimard (lu grâce à André Mignard) : Édicule modèle B à fond arrondi, toiture coupe en V dite en « libellule ». Réalisation d'époque installée en 1900 à la station Porte Dauphine (ligne 2), restaurée en 1999. Crédits image de la moitié supérieure du montage : lartnouveau.com ; de la moitié inférieure plans (élévations latérale et transversale) et cliché RATP : ars.metallica.fr (historique 1 et historique 5). |
- 2 édicules fermés, à fond carré (aujourd’hui tous
disparus),
- 2 édicules prototypes à claire-voie, un à fond arrondi,
un à fond carré (subsistants tous deux),
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Tel que légendé par Guimard (lu grâce à André Mignard) : Édicule à claire-voie ouvert à fond rectangulaire, toiture coupe classique. D'abord installée en 1900 à la station Hôtel de ville (ligne 1, rue Lobeau, haut, gauche), cette réalisation d'époque a été transférée en 1974 à la station Abbesses (ligne 12) et rénovée en 2001 (bas, gauche). Crédits images : hguimard.fr ; Reprenant à mon compte l'angle de vue photographique de la carte postale, j'ai remarqué que l'édicule 1900 ne correspondait ni à l'accès parking souterrain en raison duquel il a été déplacé (haut, droit), ni à l'actuelle entrée de métro (bas, droit), mais se situe quelque part entre les deux. La simulation rectangulaire blanche (garantie non exacte) le spatialise. (photos : ma pomme) |
- 13 entourages à écussons,
- 2 entourages à cartouches.
- 2 entourages à cartouches.
![]() |
À gauche, station Chardon-Lagache (ligne 10) (entourage à écussons) ; à droite, station Mouton-Duvernet (ligne 4) (entourage à cartouches) (crédits images : lartnouveau.com) |
Historique et point complet sur la situation contemporaine à
lire sur le site du cercle Guimard.
Il semblerait que 8 stations aient été inaugurées en juillet
1900. Mais entre les dates disponibles sur Wikipedia et celles renseignées par
André Gillois dans cette pépite radiophonique intitulée Soyez témoins, inauguration en 1900 de la ligne numéro 1 du métropolitain de Paris (1ère diffusion le 16 février 1956 sur la
chaîne parisienne), deux stations diffèrent (Tuileries et Nation).
Selon André Gillois (33’38’’), les stations ouvertes
seraient :
* Porte Maillot
* Obligado (aujourd’hui Argentine) (peut-être confonfue avec
Marbeuf, aujourd’hui Franklin D. Roosevelt)
* Champs-Elysées (aujourd’hui Champs-Elysées Clémenceau)
* Palais Royal
* Hôtel de ville
* Place de la Bastille
* Gare de Lyon
* Porte de Vincennes.
Quoi qu’il en soit réellement, un conflit d’ordre financier
a tôt fait d’entraver la bonne collaboration « arrangée » entre les deux
parties. André Mignard dans le document à l’instant cité écrit : À
partir du 2ème trimestre de l'année 1902, le divorce naît entre la
CMP et son architecte (…) [qui] se règle à l'amiable le 1er
mai 1903. Moyennant un dédommagement conséquent, Guimard abandonne la plus
grande partie de ses droits de propriété artistique sur ses modèles. La CMP
peut à sa guise installer les entourages de modèle Guimard agréés en 1900 par
le Conseil Municipal : elle le fait jusqu'en 1914.
Gallica nous offre la chance de lire la version de Guimard
au sujet de cette discorde. Sa franchise témoigne du goût amer qu’elle lui a
laissé. Voici comment : en 1904, une polémique naît au sujet du
« trou » creusé pour les escaliers menant au métro de la place de
l’Opéra. Elle ne concerne pas Guimard qui vient de rompre avec la CMP, mais
n’empêche pas le journaliste Julien Chéroy d’offrir une tribune opportune à
l’architecte dans le bien nommé La presse
pour asseoir la position du journal vis-à-vis des bouleversements urbains
causés par le nouveau métro. Aujourd’hui, on qualifierait cette interview de
formidable coup de communication de la part de Guimard.
![]() |
Article de Julien Cheroy, journal La presse, dimanche 02 octobre 1904 |
Julien Chéroy pour La presse, 02 octobre 1904 : (…) On nous donne un
trou ; par exemple, il est large et spacieux, trois des côtés de ce trou
rectangulaire, sont ornés d’une balustrade que l’on pourrait aisément
enjamber ; cette balustrade, œuvre de l’architecte Cassien-Bernard, est
d’un style indécis, Louis XV en Louis XVI ; elle est massive ; elle
ne s’harmonise pas avec l’Opéra ; elle ne présente aucun intérêt d’art
nouveau ; elle est laide, enfin. (…) La
Société du Nouveau Paris, réunie hier soir, a décidé de protester publiquement
contre l’installation d’une gare semblable devant l’Opéra (…). Dès que nous avons connu la décision
de la Société du Nouveau Paris, nous sommes allés demander à M. Hector Guimard,
architecte des gares du Métropolitain, son avis sur cette gare où il n’est pour
rien. (…)
Hector Guimard : - Tout d’abord, nous a répondu
l’éminent architecte, je dois vous dire que la Compagnie du Métropolitain,
quand elle dût s’occuper de ses gares, ouvrit un concours ; aucun projet
ne fut retenu ; des plans furent demandés à M. Formigé ; on ne les
accepta pas ; la Compagnie, alors, s’adressa à moi ; on parlait
beaucoup, à ce moment de mon Castel Béranger, primé par la Ville de Paris. Je
présentai des modèles de gare ; on en accepta un, celui que tous les
Parisiens connaissent, et qui constitue aujourd’hui, la véritable
« enseigne » du Métro.
*
Lire la suite >> Guimard et l'art nouveau : Le Castel Henriette au cinéma (3-3)
Lire la première partie >> Guimard et l'art nouveau : Méropolitains (19 novembre 2003) : le Castel Béranger (1-3)
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