Guimard et l'art nouveau : le Castel Henriette au cinéma (3-3)

07/06/2018


>> Télécharger le PDF de ce post (10 pages, texte et images)

Cet appendice aux posts Guimard et l’art nouveau : Métropolitains (19 novembre 2003) (1-3) et (2-3) se propose de retracer les « apparitions » du Castel Henriette au cinéma. Achevé entre 1899 et 1900, le Castel Henriette sis à la hauteur du 46 rue des Binelles à Sèvres (92310) perd son campanile dès la première année (bas, gauche), et s’adjoint un agrandissement vers 1903, d’après le site du Cercle Guimard (voir encadré rectangulaire, haut et bas gauche). Sans doute abandonné au début des années 1960 par la famille de sa commanditaire, Madame Hefty, il est reconverti en décor de cinéma pendant 5 ans, et finalement détruit en mars 1969 en dépit d’une campagne lancée pour sa préservation. Deux photos de Laurent Sully Jaulmes en témoignent et nous permettent de constater ce qui a survécu à cette disparition : le muret supportant l’ancienne grille dessinée par Guimard, aujourd’hui dévolu à une clôture de hauteur comparable (voir ellipses).

Haut, gauche : le Castel Henriette en 1965 (photogramme du film What's new Pussycat, de Clive Donner) ; haut, droite : copie d'écran Google map (septembre 2017) du 46 rue des Binelles, à Sèvres (le muret cerclé en blanc semble avoir résisté à la démolition du Castel). Bas, gauche, vue du Castel Henriette à sa livraison : avec son campanile-belvédère en 1900. Centre et bas, droite, photos de Laurent Sully Jaulmes dégotées dans le document PDF écrit par Philippe Sabourdin (les images ont manifestement été retouchées au niveau du ciel)
Un document PDF de Philippe Sabourdin consacré à la définition de la villa donne une liste semble t-il exhaustive des films qui ont été tournés au Castel Henriette (pages 14 et 15) :

* Michel Mitrani, Sans Merveilles (film pour la télévision). Diffusion : 14 avril 1964 (voir la fiche du film)
* Roger Vadim, La Ronde, Paris Films Production/ S.N. Pathé Cinéma. Tournage : 26 décembre 1963 – 09 mars 1964. Sortie : 16 octobre 1964.
* Clive Donner, What’s New Pussycat ?, MGM Home Entertainment (France). Tournage : octobre 1964 – janvier 1965. Sortie : 28 janvier 1966.
* Pierre Granier-Deferre, La métamorphose des cloportes, Paris, Films du Siècle. Tournage : 04 mars 1965 – 27 avril 1965. Sortie : 1965
* Yves Plantin, Alain Blondel, Hectorologie, (1965), Anthony Roland Collection of Films on Art, 1990 (documentaire).
* Michael Hayes, A Flea in her ear, BBC Entertainment, 1967 (film pour la télévision).
* Jacques Charon, A Flea in her ear, 20th Century Fox. Tournage : 20 juillet 1967 – 19 octobre 1967. Sortie : 19 octobre 1968.
* Philippe Fourastié, La Bande à Bonnot, Intermondia et TC Productions. Tournage : 18 mars 1868 – non renseigné. Sortie : 30 octobre 1968

Avant d’en venir à la comparaison de certains films, écoutons le récit édifiant d’Alain Blondel dans sa communication intitulée La redécouverte d’Hector Guimard autour de 1970, qui ouvre la journée d’études du 150e anniversaire de la naissance de l’architecte (13 octobre 2017) :

En 1964, on était consterné de l’état d’abandon du Castel Henriette, réduit à l’état de décor pour film d’époque. Roger Vadim y tournait La ronde avec Jane Fonda, et on découvrait que les décorateurs du film gênés par certains meubles fixes qui étaient encore en place les avaient sortis dans le jardin où ils finissaient de pourrir sous la pluie. Dans La métamorphose des cloportes (1965), on assistait à une séance de spiritisme avec Charles Aznavour habillé en fakir devant la cheminée de Guimard utilisée sans doute comme un exemple de délire opiacé. Enfin, il y eut What’s new pussycat, tourné en 1965 avec Woody Allen qui n’a guère été plus respectueux des lieux. Tous ces tournages ont été dévastateurs pour le Castel dont la destruction était de toute façon programmée (1969). (à partir de 9’30’’)


*

Composé d’au moins cinq niveaux (sauf erreur) et de plusieurs escaliers, le Castel Henriette découvre, à l’image de son architecture giratoire, une multiplicité de visages. Les tournages cinématographiques qui l’ont investi ont exploité ses couloirs, rampes d’escaliers, balcons, chambres, vitraux, du rez-de-chaussée jusqu’au dernier étage, de jour comme de nuit, en noir et blanc comme en couleurs, en s’attachant à prouver son implantation effective dans le tissu urbain à la faveur de plans d’ensemble sur le Castel ou sur les rues adjacentes. Vous trouverez ci-dessous les photogrammes de quatre des huit films produits au Castel Henriette. Ces captures d'écran ont été réalisées par nos soins pendant les visionnages et ensuite montées pour accompagner la lecture de ce post.

Au nombre des films auxquels nous avons eu accès, il y a What’s New Pussycat ? de Clive Donner, La métamorphose des cloportes de Pierre Granier-Deferre, A flea in her ear (La puce à l'oreille) de Michael Hayes et La bande à Bonnot de Philippe Fourastié. Si ceux-ci se distinguent franchement les uns des autres, force est de constater que la mythologie véhiculée par le Castel Henriette reste toujours la même. 

Symbole de luxure, il représente une garçonnière dans La ronde de Roger Vadim, un hôtel de débauche dans A flea in her ear de Jacques Charon et un cabinet de psychanalyse dans What’s new Pussycat ? de Clive Donner où la confession érotique le dispute à l’obsession lubrique. Seuls La bande à Bonnot de Philippe Fourastié et La métamorphose des cloportes de Pierre Granier-Deferre emploient le Castel Henriette à d’autres fins. D’une part comme la maison d’un larcin. D’autre part comme le refuge d’une secte hindouiste. Encore que, à bien y regarder, le court extrait filmé dans La bande à Bonnot conjugue le vol d'une automobile avec un flagrant délit d'adultère. À la maîtresse de maison nue dans son lit, le braqueur Jules Bonnot, incarné par Bruno Cremer dit sans détours : « Vous trompez votre mari… Dieu vous punira...  Salope. »

Photogrammes extraits de La bande à Bonnot, de Philippe Fourastié, 1968, dernier film à avoir été tourné au Castel Henriette avant sa destruction en mars 1969. 
Selon l’importance qu’il prend dans l’histoire du film, le Castel Henriette est modifié en conséquence. Dans La métamorphose des cloportes et dans La bande à Bonnot, les séquences tournées sur place n’excèdent pas les 5 minutes de pellicule et empruntent plus aux décors tels qu’ils ont été laissés par les équipes précédentes qu'ils n'en importent de nouveaux. Filmé l’année suivant What’s new Pussycat ?, La métamorphose des cloportes compose par exemple avec le même papier peint (salon, escaliers) et évacue discrètement le souvenir de l’autre film en parant l’espace de quelques voilages blancs. Un choix qui, si l’on en comprend la signification spirituelle, laisse dubitatif, quand tous les autres films tournés au Castel ont justement tiré parti de la surcharge visuelle des lieux.
D'une année sur l'autre, les lieux se ressemblent forcément quand les tournages s'enchaînent. Entre la couleur de What's new Pussycat tourné en 1964 et le noir et blanc de La métamorphose des cloportes filmé l'année d'après, le papier peint est le même.

À la coïncidence des papiers peints, What's new Pussycat et La métamorphose des cloportes ajoutent celle de la descente mystique. De blanc vêtus, Eddra Gale déguisée en Brunehilde (à gauche) et Charles Aznavour jouant le fakir (à droite) tentent d'amadouer leurs interlocuteurs, sans succès.
Idem pour La bande à Bonnot qui bénéficie de l’une des deux curieuses installations extérieures guimardesques héritées de A flea in her ear, terminé 5 mois avant, dans l’un de ses plans. Cela n'impacte toutefois par le fil de l'histoire dans la mesure où la séquence est tournée de nuit.

Les films A flea in her ear, de Jacques Charon (1968) (à gauche) et La bande à Bonnot, de Philippe Fourastié (1968) (à droite) sont sortis à 15 jours d'intervalle au mois d'octobre 1968. Une décoration aux airs de candélabres pour métropolitain installée par le film anglais se retrouve sans dommages dans le plan français tourné quelques mois plus tard. Une prise de vue commune permet de les comparer.

Le salon situé au rez-de-chaussée conserve des éléments originaux du Castel Henriette communs à ceux du Castel Béranger, achevé deux ans plus tôt. Grâce à l'album édité pour l'occasion, nous pouvons identifier sans difficultés la cheminée de salon de la planche 62 et sauf erreur, la glace (haut, gauche) désolidarisée du lavabo de toilette dessinée sur la planche 59 (voir cercle bas, droite).

*

Avant d’en venir plus précisément au film de Clive Donner, observons les dégâts volontairement occasionnés dans le Castel Henriette pour les « besoins » de la narration. Ils se divisent en deux catégories : les factices et les véritables. Dans A flea in her ear, la course poursuite finale à l’intérieur de la demeure se solde par plusieurs vitraux apparemment brisés, qu’on ne voit cependant pas éclater à l’écran. L’optimisme conduit à imaginer que les décorations originales ont été soigneusement déposées pour être temporairement remplacées par quelque succédané. Il n’en va pas de même pour les nombreuses portes claquées et l’aspersion d’eau au milieu d’une des chambres. 

Photogrammes d'A flea in her ear, de Jacques Charon, 1968. À gauche, un pompier derrière les bris d'un carreau. À droite, Rex Harrison, sauvé de sa chute grâce au crochet de l'armature en fer, a traversé l'auvent en verre.












Il est aujourd'hui difficile de regarder dans le détail les dégradations successives causées par les tournages dans la mesure où certains titres manquent encore d'édition DVD. Seule une qualité de visionnage en haute définition permettra d'évaluer chronologiquement l'importance des modifications mises en oeuvre dans le Castel (voir à ce titre les splendides photogrammes de La ronde de Roger Vadim (1964) postés sur le site hguimard.fr).

Entre What's new Pussycat, de Clive Donner (1965) et A flea in her ear, de Jacques Charon (1967), il semble que le vitrail de la porte d'entrée ait disparu. 

















Dans la Grande traversée qu’elle a consacrée à Woody Allen pendant l’été 2015 sur France Culture, Judith Perrigon revient quelques minutes sur le tournage de What’s new Pussycat, le premier film de Woody Allen en tant qu’acteur et scénariste. Le tournage tourne mal, les stars ont pris le pouvoir. Peter Sellers n’aime pas ce jeune Woody Allen avec lequel on le confond parfois à cause de leurs lunettes en écaille. Il fait sans cesse réécrire le script. La fin sera défaite et laissée aux mains des acteurs stars. (…) (à 57'48'' dans : Woody Allen : Manhattan ou le cordon ombilical, première diffusion le 14 juillet 2015)

Photogrammes extraits de What's new Pussycat, de Clive Donner (1965). Eddra Gale et Peter Sellers communiquent par fenêtres interposées.



Il n’empêche que le film, rangé au rayon des « sex comedy », est un succès. Clive Donner y marie à merveille le jeu loufoque de Peter Sellers avec l’architecture sans commune mesure du Castel Henriette (d’ailleurs, la période art nouveau qui a vu naître le style Guimard est déclinée tout au long du film par une profusion de fleurs, d’arabesques et de décors japonisants - générique inclus). Les plans extérieurs sur les balcons, terrasses et fenêtres du début du film rendent hommage à la distribution « scénique » de la maison dont les niveaux représentent autant de plateaux communicants. Les couleurs vives et les motifs ornementaux des vitraux, papiers peints et tentures concourent également au délire collectif des séances de psychanalyse organisées par Peter Sellers, alias le docteur Fritz Fassbender.

Photogrammes extraits de What's new Pussycat de Clive Donner (1965). À gauche, on reconnaît la cheminée dépeinte dans la planche 51 du Castel Béranger tandis qu'à droite, la scène équilibre dans un mariage heureux couleurs unies et motifs décoratifs, du premier à l'arrière plan.


Mais une scène combinant le style Guimard avec un décor peint sort du lot, pour ne pas dire du Castel Henriette. Elle montre Romy Schneider donner un cours d'anglais à des étudiants étrangers dans un amphithéâtre. Le lieu est agrémenté de ferronneries Guimard soutenues par des socles en faux marbre sur lesquels ont été posés des écussons en provenance des entourages de métro. À l’instar du site hguimard qui interroge sa véracité, on distingue mal ce qui relève du décor construit de la place authentique. 
 
Dans cette scène, le cours de Romy Schneider est interrompu par l'arrivée furibonde de Peter O'Toole. Jean-Pierre Mocky déclare dans le deuxième épisode de la grande traversée Woody Allen diffusée le 14 juillet 2015 sur France Culture que l'acteur, également scénariste du film, lui a acheté le gag mis en scène dans l'amphithéâtre (voir Snobs !, 1962).


On pourrait continuer de comparer les différentes facettes prises par le Castel Henriette dans ses dernières années au cinéma. Il est tantôt « villa Volubilis » à Bourg-la-Reine, tantôt hôtel « Coq d'or » sur la ligne hippomobile Pont des Invalides-Montretout. Ses modes d'accès aussi varient en fonction de la nature de ses visites oscillant entre rendez-vous amoureux, passage incessant, effraction nocturne ou règlement de comptes.

Dans la moitié supérieure, photogrammes extraits de La métamorphose des cloportes, dans la moitié inférieure, de A flea in her ear




Pour finir, vous trouverez ci-dessous quelques photogrammes du film A flea in her ear. À l'évidence son réalisateur Jacques Charon a pris un plaisir non dissimulé à mettre en scène l'adaptation de la pièce de Georges Feydeau. Lit tournant à double-face, chute spectaculaire, chasse à l'homme enragée permettent de multiplier les angles de vues sur les étages supérieurs du Castel Henriette. 



2 commentaires:

  1. Voir aussi mon site sur le téléfilm "Sans merveille" avec mes captures du Castel Henriette : http://php88.free.fr/bdff/image_film.php?ID=7769#haut&p=film

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour et merci pour votre message. Le référencement de votre page a été ajoutée dans ce texte. En attendant d'accéder au visionnage de ce film en noir et blanc, j'invite les lecteurs à consulter votre lien pour voir quelques photogrammes du film « Sans merveille » de Michel Mitrani avec Marguerite Duras aux scénario et dialogues (accompagnée de Gérard Jarlot).
      À bientôt,
      Germain

      Supprimer